Protection de la liberté sur internet : l'alerte de Mozilla
La fondation Mozilla, à l'origine de la création du célèbre navigateur web Firefox, a récemment exprimé ses inquiétudes face à la proposition de loi SREN du gouvernement français. Mozilla souligne les implications potentiellement préoccupantes (pour ne pas dire liberticides) pour la liberté sur Internet.
Le projet de loi — qui part d'une bonne intention, mais se trompe dans les moyens — vise à sécuriser et réguler l'espace numérique en imposant aux navigateurs web tels que Firefox, Chrome, Safari, Opera, Edge, etc de bloquer certains sites web au niveau du navigateur, suscite des interrogations quant à son impact sur les droits fondamentaux des utilisateurs.
Le Contenu de la Proposition SREN
Le gouvernement français a manifesté son souhait de restreindre l'accès des mineurs aux contenus pornographiques en ligne, en adoptant une approche législative. En parallèle, la proposition de loi SREN comprend également des dispositions visant à protéger les adultes contre les risques de fraude en ligne.
Extrait du projet de loi Français :
" Avec ce projet de loi, la France se dote d’un éventail de mesures concrètes inédites et audacieuses visant à renforcer l’ordre public dans l’espace numérique. Issu d’un travail interministériel mené par M. Jean-Noël BARROT, ce projet de loi contient une vingtaine de propositions qui visent notamment à :
- permettre la mise en œuvre d’un filtre de cybersécurité anti-escroquerie visant à protéger les Français contre les tentatives d’accès frauduleux à leurs coordonnées personnelles ou bancaires à des fins malveillantes qui se sont multipliées ces dernières années ;
- permettre un renforcement des sanctions des personnes condamnées pour cyberharcèlement, phénomène qui se propage sur les réseaux sociaux ;
- renforcer le dispositif visant à faire respecter les limites d’âge en ligne pour l’accès aux sites pornographiques et ainsi mieux protéger nos enfants ;
- sanctionner les sites en cas de non-retrait de contenus pédopornographiques en ligne ;
- restaurer l’équité commerciale sur le marché du cloud, aujourd’hui concentré dans les mains d’une poignée d’acteurs ;
- apporter des protections nouvelles contre la désinformation et les ingérences étrangères provoquées par la diffusion de médias frappés par des sanctions internationales ;
- adapter le droit national pour que puissent s’appliquer deux règlements européens majeurs que la France a fait adopter lors de sa présidence du Conseil de l’Union européenne en 2022 : le règlement sur les services numériques (DSA) et le règlement sur les marchés numériques (DMA).
C'est 'article 6 de la proposition SREN qui suscite des préoccupations en exigeant des navigateurs de bloquer les sites web présents sur une liste noire fournie par le gouvernement. C'est un peu comme si vous achetiez un GPS et que le gouvernement demandait au fabricant du GPS de bloquer certaines routes pour des raisons de sécurité...
Risques liés au blocage des sites web au niveau des navigateurs
Le blocage des sites web au niveau du navigateur implique d'empêcher l'accès à certains contenus en se basant sur leurs adresses URL. Cependant, cette mesure soulève plusieurs risques et inquiétudes, particulièrement en termes de :
- Neutralité du net, avec le risque de laisser le gouvernement déterminer que sont les contenus autorisés, ou non. Cela compromet ainsi le principe de traitement égalitaire de tous les contenus en ligne.
- Liberté d'expression et droit à l'information : comme c'est le gouvernement qui décide quel site est bon ou non pour 'l'internaute, le risque de dérive liberticide est réel, car le blocage pourrait limiter l'accès à des sources variées et potentiellement critiques et dérangeantes
- Sécurité et confidentialité des utilisateurs : le blocage des pages web via le navigateur implique que les navigateurs devront impérativement communiquer avec le gouvernement pour accéder à la liste des sites web "interdits", ce qui crée une faille évidente dans la protection des données des internautes
La Position de Mozilla
Mozilla, en tant qu'acteur majeur dans l'univers du web, estime que la proposition SREN, sous sa forme actuelle, pourrait porter atteinte aux droits fondamentaux des internautes français. L'organisation s'inquiète de la potentielle inefficacité de cette mesure et de la disproportion et des dangers que représente le blocage des sites web au niveau du navigateur. Pour Mozilla, il est essentiel de trouver des alternatives plus équilibrées et conformes aux droits des utilisateurs.
Extrait du communiqué de Mozilla
On pourrait penser que les pratiques actuelles du secteur de la protection contre les logiciels malveillants et l'hameçonnage ne sont pas très différentes de la proposition française. C’est loin d’être le cas, car le principal facteur de différenciation est qu’elles ne bloquent pas les sites web, mais se contentent d’avertir les utilisateurs des risques et de leur permettre d’accéder aux sites web s’ils choisissent de l’accepter. Ce type de langage n’est pas présent dans la proposition actuelle, qui se concentre sur le blocage. Il n’y a pas non plus de référence à des implémentations préservant la vie privée ou à des mécanismes empêchant l’utilisation de cette fonction à d’autres fins. En fait, la possibilité pour un gouvernement d’exiger qu’un certain site web ne s’ouvre pas du tout sur un navigateur/système est un terrain inconnu et même les régimes les plus répressifs dans le monde préfèrent jusqu’à présent bloquer les sites web en amont du réseau (fournisseurs d’accès à Internet, etc.).
Un précédent mondial
Forcer les navigateurs à créer des fonctionnalités permettant de bloquer des sites web au niveau du navigateur est une pente glissante. Bien qu’elle ne soit envisagée aujourd’hui en France que pour les logiciels malveillants et l’hameçonnage, cette mesure créera un précédent et donnera aux navigateurs la capacité technique de réaliser tout ce qu’un gouvernement pourrait vouloir restreindre ou criminaliser dans une juridiction donnée, et ce, pour toujours. Un monde dans lequel les navigateurs peuvent être forcés d’incorporer une liste de sites web interdits au niveau logiciel qui ne s’ouvrent tout simplement pas, que ce soit dans une région ou dans le monde entier, est une perspective inquiétante qui soulève de sérieuses préoccupations en matière de liberté d’expression. Si cette loi est adoptée, le précédent qu’elle créerait rendrait beaucoup plus difficile pour les navigateurs de rejeter les demandes de ce type émanant d’autres gouvernements.
De meilleures solutions existent
Plutôt que d’imposer un blocage basé sur le navigateur, nous pensons que la législation devrait se concentrer sur l’amélioration des mécanismes existants déjà utilisés par les navigateurs – des services tels que Safe Browsing et Smart Screen. La loi devrait plutôt se concentrer sur l’établissement de délais clairs et raisonnables dans lesquels les principaux systèmes de protection contre l’hameçonnage devraient traiter les demandes légitimes d’inclusion de sites web émanant d’agences gouvernementales autorisées. Toutes ces demandes d’inclusion devraient être basées sur un ensemble solide de critères publics limités aux sites d’hameçonnage/escroquerie, faire l’objet d’un examen indépendant par des experts et expertes et contenir des mécanismes d’appel judiciaire au cas où une demande d’inclusion serait rejetée par un éditeur. Un tel cadre juridique créerait un mécanisme de coordination bien plus équilibré qu’une proposition de blocage de sites web, et qui protégerait les utilisateurs non seulement en France, mais dans le monde entier. Tirer parti des offres déjà présentes sur des milliards d’appareils et de logiciels pour lutter contre la fraude est une solution bien plus efficace que de tenter de réinventer la roue avec un blocage de sites web basé sur le navigateur.
Empêcher la censure des sites web en France : signez la pétition Mozilla
Après avoir présenté ses arguments, Mozilla convie les internautes français à signer une pétition dans le but d'empêcher l'adoption de l'article #6 du projet de loi. À travers cette démarche, Mozilla vise en outre à éveiller la conscience des parlementaires français et des citoyens européens quant à l'importance de la liberté sur Internet. La fondation encourage également les internautes à partager la pétition sur les réseaux sociaux avec le hashtag #StopSREN.